L’héraldique dans « La révélation de Sidoine : Le Partage »
Avec l’autorisation de Laurent Ridel, historien et ancien guide touristique qui publie des dossiers passionnants sur son site : https://decoder-eglises-chateaux.fr , j’ai modifié l’un de ses articles pour vous proposer une lecture des nombreuses armoiries, blasons et emblèmes évoqués tout au long de « La révélation de Sidoine : Le partage ».
Pour Laurent R. : L’héraldique est la science qui décrypte le langage des armoiries. Elles annoncent les occupants des châteaux, enjolivent les églises, et fleurissent aujourd’hui sur les panneaux des communes et des régions. De nos jours, elles sont pourtant devenues bien énigmatiques. Elles apparaissent au tournant du XIIe siècle ; elles étaient à peu près l’équivalent de nos logos, si ce n’est qu’elles renvoyaient à des individus plutôt qu’à des entreprises. Les armoiries sont donc un moyen de se distinguer et de proclamer une identité. Les noms de famille se développent d’ailleurs à cette époque.
Vers une bonne utilisation des termes :
1/ À tort, on préfère souvent employer le mot « blason » à « armoiries » et « écu armorié ». Même si cet usage a fini par être toléré, de très nombreuses personnes usent du mot blason pour désigner la représentation matérielle d’armoiries. (D.B. : J’avoue avoir parfois usé de ces simplifications au risque de froisser l’héraldiste, le spécialiste des armoiries.)
Définition Armes ou armoiries : D’après Rémi Mathieu, dans son ouvrage Le système héraldique français, nous pouvons lire que « les armoiries sont des emblèmes en couleur, propres à une famille et soumis dans leur disposition et dans leur forme à des règles spéciales, qui sont celles du blason. Elles sont presque toujours représentées sur un écu. »
Définition Blason : Le premier sens de ce mot est la définition, c’est-à-dire la description technique, orale ou écrite, d’armoiries, alors que ce dernier terme désigne une représentation visuelle, matérielle.
Les fausses vérités :
* Puisque les ecclésiastiques, les femmes et même les paysans obtinrent le droit de blasonner, il est erroné de ne considérer les armoiries que comme des privilèges de la noblesse.
* Jusqu’à encore récemment, d’éminents héraldistes racontaient que les armoiries avaient fleuri sur le champ de bataille et les lices de tournoi car les casques et les armures empêchaient les ennemis de s’identifier entre eux. On se mit alors à peindre leurs boucliers et leurs drapeaux de motifs aisément reconnaissables.
Interviewé dans un podcast, l’historien Laurent Hablot précise que : « Non, les armoiries ne pouvaient pas être des moyens de reconnaissance efficaces, dit-il, car il aurait fallu que les opposants soient en mesure d’identifier tous les emblèmes de leurs rivaux avant de frapper. Sans compter qu’avec la boue et les chocs, les images devenaient rapidement illisibles. »
Notions de base en héraldique :
Les armoiries ont un langage qui leur est propre et qu’il est possible de décoder… avec un minimum de formation. La description d’armoiries est comme l’apprentissage d’une nouvelle langue. Il faudra utiliser un vocabulaire spécifique comprenant quelques 900 termes comme vair, dextrochère ou lampassé. Cet article n’a donc pas pour but de vous apprendre tous ces mots mais de vous faire partager la logique de cette lecture.
1/ Les armoiries prennent souvent place dans une sorte de bouclier, un écu dont le fond (le « champ ») est fréquemment coloré. 7 couleurs sont plus fréquemment utilisées, chacune désignée par leur terme particulier. D’ailleurs, il n’est pas réellement question de couleurs, mais de métaux (or et argent) et d’émaux (les 5 autres).

2/ Sur ce « champ » coloré sont rajoutés un ou plusieurs types de figures :
- Des partitions (les grandes divisions des armoiries)
- Des figures géométriques (cercle, bande diagonale, losange, croix, chevron…)
- Des figures animées : végétales, humaines, animales ou fantastiques
- Des objets (une arme…) ou une architecture (une tour…)
3/ Comme ces figures peuvent se trouver aussi bien au centre que dans une partition de l’écu, on utilise un vocabulaire qui permet de préciser leur localisation. On parle d’ailleurs des points de l’écu.
Ex : L’angle en haut à gauche se dira : « au canton dextre du chef »… N’est-ce pas !!! Vous avez bien remarqué, l’inversion car la droite (« dextre ») et la gauche (« senestre ») sont considérées non pas du point de vue du spectateur, mais de celui qui porte l’écu.
D.B. et L.R. : Etudions 5 armoiries évoquées dans « La révélation de Sidoine : Le Partage »:
1/ Un exemple simple : les armoiries d’Humbert II de Viennois (Personnage que nous avions déjà rencontré dans le tome : « L’héritage », lorsqu’il se rendit à Saint-Maximin en compagnie de F. Pétrarque. Il fut le dernier Dauphin de Viennois, il aliéna le Dauphiné à la France en 1349.)

Installés au pied des Alpes, Humbert II de Viennois était Seigneur du Dauphiné. Raison pour laquelle ces seigneurs finirent par porter le titre de dauphin et à peindre sur leurs armoiries, un dauphin. On parle ici d’armoiries parlantes : leur dessin fait allusion au nom de la famille qui les porte. Elles se décrivent ainsi : « d’or au dauphin d’azur, crêté, barbé, loré, peautré et oreillé de gueules ». Le début ne pose pas de difficulté. On commence toujours par définir le fond (le champ) : ici, il est d’or (donc jaune). Ensuite, on décrit la bête : c’est un « dauphin d’azur », donc bleu. Mais il a des traits particuliers, tous de gueules (donc rouge) : « crêté, barbé, loré, peautré » désignent ses différentes nageoires selon leur position sur le corps. « Oreillé » désigne les branchies. Belle description !
2/ Des armoiries pacifiques ? : Ce sont les armoiries des Seigneurs de Cervole

« d’argent à deux fasces de gueules, accompagné de 6 merlettes de sables posées sur l’argent 3, 2 et 1 ». Explications. D’abord le fond (le champ), qui est d’argent (donc blanc). Puis on passe aux grandes formes ou divisions géométriques. Ici, il s’agit de deux bandes horizontales : les fasces. Elles sont dites « de gueules », donc rouge. Elle porte 6 figures animales : des merlettes. On croirait des canards : tout à fait sauf que bizarrement ce sont de petits oiseaux qui ne portent ni bec ni pattes et qui sont toujours figurés de profil. Les seigneurs de Cervole cherchaient-ils ainsi à affirmer leur non-agressivité à l’égard de leurs voisins ? Car le choix des motifs est éminemment symbolique…

D.B. Concernant Arnaud Régnaud de Cervole, dont il est question dans « Le Partage », il n’était certainement pas un tendre ! Également surnommé l’Archiprêtre, car ancien prêtre défroqué sans foi ni loi, il fut le chef de l’une des redoutables Grandes Compagnies. Dans « Le Partage », il siège devant Avignon en août 1357. Pour la symbolique, j’ai préféré utiliser l’emblème qu’il s’était choisi : Un cerf rampant à la bordure besantée…
3/ Des armoiries au lion : Celles du Clan MacKintosh

Voici les armoiries du clan écossais des MacKintosh : « d’argent au léopard armé et lampassé de gueules et couronné d’or». Sur champ blanc, donc d’argent. Ensuite, la description s’attarde sur la description du lion, car l’animal peut être représenté de dizaines de façons : l’animal est armé (c’est-à-dire qu’il montre ses griffes) et lampassé de gueules (il tire une langue rouge, le vilain).
Après le dauphin, voici encore un animal. Le lion figure souvent sur les armoiries royales ou chevaleresques en raison de son statut de roi des animaux et de sa réputation de puissance et de courage. Les créateurs de blason l’ont manipulé dans tous les sens : il peut regarder à droite, ou vous fixer comme celui-ci (dans ce dernier cas, on le nomme léopard). Au lieu de se lever sur ses pattes postérieures, il peut marcher. Il peut aussi être assis, accroupi, lever la patte. Il n’y a que l’héraldique pour dresser un lion comme un chien !
D.B. : Dans « Le partage », lorsqu’intervient Biron MacKintosh, l’emblème de leur famille se mettait à peine en place.
4/ Des armoiries aux figures géométriques et florales : Celles des Rosiers d’Egleton, c’est-à-dire celles du Pape Clément VI

« D’argent à bande d’azur accompagnée de 6 roses de gueules boutonnées d’or, 3 en chef et 3 en pointe. » Celles-ci ne sont pas très compliquées à comprendre…
5/ Des armoiries composées : Les armoiries des Beaufort-Canillac

Mais pourquoi l’abbé Raymond de Canillac a-t-il choisi des armoiries aussi compliquées ? Pour rappeler sa parentèle avec le Pape Clément VI. On appelle cela des armoiries composées car elles sont formées de plusieurs armoiries.
Du fait de ses quatre parties, la description est forcément plus longue : « écartelé, en 1 et 4 d’argent à la bande d’azur accompagnée de six roses de gueules en orle ; aux 2 et 3 d’azur au lévrier d’argent colleté de sable à la bordure composée d’azur et d’argent. » Ouf, on souffle !
Le mot le plus important est le premier, «écartelé», c’est-à-dire partitionné en 4. Pour indiquer ensuite laquelle des parties est décrite, on utilise des numéros reprenant le sens de lecture : la partie 1 est obligatoirement en haut à gauche et ainsi de suite. Le but de ces descriptions normalisées est qu’à leur énoncé, deux artistes pouvaient composer les mêmes armoiries, tant au niveau des couleurs, des formes et de la disposition.
LR : Comme vous pouvez le constatez, la langue du blason n’est plus aussi simple, mais heureusement, il existe de très bons livres pour expliquer les règles de composition et les termes obscurs. Une pépite se trouve sur le site de la Société française d’héraldique et de sigillographie : la version en ligne de Les armoiries. Lecture et identification, par Emmanuel de Boos. (N’hésitez pas à cliquer sur ce lien pour en savoir plus) Vous ne pourrez plus vous passer du glossaire illustré.
Voici également d’autres sources de référence :
- Claude Wenzler, Le guide de l’héraldique. Histoire, analyse et lecture des blasons, Ouest-France, 2002
- Michel Froger, L’héraldique. Histoire, blasonnement et règles, Ouest-France, 2012.
- Patrice de la Perrière et Stéphane Rossini, Le blason : langage de l’héraldique, Dervy, 2018.
- Michel Pastoureau, L’art héraldique au Moyen Âge, 2009 (beau livre plutôt que manuel de l’héraldique).
2 réflexions sur « Quelques notions d’héraldique »