D’une économie de subsistance à une économie de marché
» En hiver, les températures tombent aux alentours des 10° mais avec l’humidité ambiante, tu serais rapidement transi de froid si tu ne t’équipais pas correctement.
— Et ils faisaient comment vos Cro-Magnons ?
— D’abord, ils avaient l’habitude du froid, car c’était une période glaciaire. Les glaciers recouvraient la majorité du territoire de la France actuelle. »
Dominique BARTE – EMPREINTE MORTELLE
La Préhistoire ! Vaste question ! Il faut d’abord définir les différentes périodes d’étude. En effet, Homo sapiens, notre ancêtre, va évoluer durant plusieurs millénaires divisés en périodes qui sont essentiellement liées aux changements climatiques et à l’évolution des techniques.
Les datations récentes (2017) des ossements retrouvés dans les années 1960 sur le site de Djebel Irhoud au Maroc ont remis en question le lieu d’origine et la date d’apparition de l’homme moderne. Alors que les scientifiques estimaient que le berceau de l’Homo sapiens archaïque se trouvait en Afrique sub-saharienne et était daté de quelques 195 000 ans, les nouvelles méthodes de datation ont permis de déterminer l’âge de notre ancêtre à 300 000 ans. D’ailleurs, plus personne n’est absolument catégorique là-dessus car les recherches progressent chaque jour. Va-t-on, un jour, trouver d’autres ossements, plus anciens qui bouleverseront à nouveau ces données ? Aujourd’hui, les experts reconnaissent qu’Homo sapiens avait sans doute essaimé sur tout le continent africain… Hélas, il est évident que les bonnes conditions de préservation ne sont pas forcément présentes partout.

Notre ancêtre est déjà très proche de nous anatomiquement, au moins au niveau de la face et de la denture. La principale différence apparaît dans la forme allongée de sa boîte crânienne et de son cervelet de taille réduite, qui présentent encore des caractères très primitifs. Il faudra plusieurs millénaires avant que son cerveau n’élabore une connectivité qui se rapprochera de la nôtre.
L’Homme de Djebel Irhoud – Crédit photo : Jeune Afrique
Out of Africa II… Par la corne de l’Afrique ou le détroit de Gibraltar, Homo sapiens arrive en Eurasie… Pour cette datation aussi, les données évoluent. Un maxillaire humain daté de 175 000 à 200 000 ans a récemment été retrouvé dans la grotte de Misliya en Israël, ce qui signifierait que l’homme aurait quitté l’Afrique au moins 50 000 ans avant la date estimée jusqu’à aujourd’hui, soit il y a 220 000 ans. Restons lucides, une seule mâchoire ne refait pas l’Histoire, mais les hypothèses sont permises que de nouveaux faits attesteront peut-être un jour. La Préhistoire est une science nouvelle, finalement.
La faim, le froid, les prédateurs… Terrible période !

Ici encore, aujourd’hui, les conditions d’existence d’Homo sapiens sont remises en cause.
Au gré des changements climatiques fréquents (à l’échelle des millénaires couverts), Homo sapiens va se déplacer. Tout le génie de Cro-Magnon réside dans le maître-mot : Adaptation. Une grande vague de migration vers nos régions est attestée durant la période de -60 000 à – 50 000 ans.
Crédit photo : DB – Vagues de migration de Sapiens hors d’Afrique
-40 000 à -25 000 ans : En recherche constante de nouveaux territoires de chasse et profitant d’une amélioration du climat*, on retrouve (en France, mais aussi en Espagne) de plus en plus de traces de la présence d’Homo sapiens, notamment dans l’accueillante Vallée de la Vézère, en Dordogne et de manière générale, sur le pourtour méditerranéen : Ardèche, Bouches-du-Rhône, Alpes-Maritimes.
* Il s’agit tout de même de la période glaciaire de Würm – sensiblement comme la Scandinavie actuellement. Les glaciers couvrent le nord de l’Europe actuelle.
Il apporte avec lui son savoir-faire dans l’industrie lithique (Paléolithique). Il est un chasseur émérite. Il pratique la chasse en petits groupes. Ces premiers groupes étaient probablement constitués d’un minimum de 20-30 individus car à moins de personnes il est difficile de chasser le gros gibier et à plus de personnes, une organisation sociétale s’imposerait.
La viande constitue probablement l’essentiel de son alimentation. Nomade, il suit les troupeaux et se montre prévoyant mais il ne stocke pas plus que nécessaire puisqu’il ne reste pas indéfiniment au même endroit. Il fait de petites réserves de viandes séchées ou fumées et il creuse des fosses alimentaires dans le permafrost pour lui permettre d’affronter les hivers rudes. Ni gâchis, ni surexploitation de la faune disponible.
Il se nourrit également de baies, graminées, champignons, œufs, oiseaux et poissons (il a mis au point le harpon). Il consomme environ 3000 calories/jour.
A noter : on ne retrouve aucune carence nutritionnelle sur les squelettes retrouvés.
C’est une économie de subsistance, il prélève son besoin immédiat sans chercher à augmenter le rendement. Ce mode de vie itinérant lui permet sans doute de pratiquer des échanges et du troc avec d’autres groupes rencontrés et de développer les connaissances techniques. Il est un chasseur-cueilleur. On ne peut pas encore parler d’organisation des taches et du travail.
-20 000 à -17 000 : Le Solutréen apporte deux innovations majeures : l’aiguille à chas qui permet de coudre les peaux (vêtements, tentes, outres…) et Homo sapiens rajoute à ses nombreux outils (lames, grattoirs, sagaies, burins, pointes…) : le propulseur, pour lancer les sagaies plus loin (70 mètres) et plus fort. Son animal de prédilection : le renne, duquel il prélève quasiment tout : la viande pour se nourrir, la peau pour se couvrir, les tendons pour lier, les bois pour les outils, les dents pour les bijoux, etc…
Il est encore chasseur-cueilleur et nomade… mais vers la fin de cette période, on constate que des tribus se développent et se sédentarisent de plus en plus.
-17 000 à -12 000 : Durant cette période du Magdalénien, il est aujourd’hui permis de penser que grâce à leurs déplacements saisonniers, les chasseurs-cueilleurs vont échanger de plus en plus entre groupes des biens matériels et du savoir-faire technologique autant que des valeurs symboliques (art pariétal). On retrouve en effet des similitudes de production à des endroits très éloignés.

L’organisation s’instaure. Des ateliers se créent. Certains produisent les outils que d’autres utilisent. Tous les hommes (et femmes) ne sont plus forcément tous nécessaires à la chasse. Cela leur laisse également du temps pour s’adonner à des activités non productives comme la peinture et la gravure pariétales.
–8000 (période différente selon les régions du monde) à -1900 : Le grand bouleversement Néolithique (âge de la pierre polie) est en marche. Il devient agriculteur-éleveur. Agriculture, élevage et sédentarisation… Il y a une réelle prise de pouvoir de l’homme sur son environnement; ce qui entraîne le stockage et la naissance du travail pour la communauté !
Crédit photo : DBarte – Lascaux 4
Et le travail des femmes ? A bas le cliché sexiste des premiers archéologues !
« Non, les femmes ne balayaient pas la grotte et ne se faisaient pas tirer les cheveux par des hommes violents ! » écrit la préhistorienne française Marylène Patou-Mathis. Ces clichés tenaces nous viennent des premiers archéologues du XIX° siècle, tous des hommes, qui ont calqué leur système de pensée sur le mode de vie des préhistoriques. Aujourd’hui, la science se féminise et les nouvelles technologies ébranlent ces stéréotypes qui voulaient que la femme soit confinée aux tâches ménagères et aux enfants. En témoignent les études faites sur leur ossature car nos activités laissent des traces sur notre squelette.
Cela dit, l’inverse se produit aujourd’hui, lorsque des théories féministes prônant la place primordiale de la femme dans la société préhistorique se multiplient, qui ne s’appuient pas non plus (pas encore ?) sur des données scientifiques suffisantes. Une véritable démarche scientifique est en cours, des hypothèses sérieuses ne pouvant s’appuyer que sur des faits concrets. Attention donc, car le dernier qui parle n’a pas toujours raison.

Les squelettes féminins sont facilement identifiables à leur gracilité et à la structure du bassin entre autres signes de comparaison. La structure de leurs os démontre qu’elles participaient à la chasse au grand gibier, comme le suggérait déjà la sépulture découverte en Amérique du Sud, d’une jeune femme enterrée avec des flèches en pierre et des lames servant à dépecer les bêtes. Ces femmes avaient un avant-bras plus développé que l’autre car elles devaient lancer la sagaie sur le gibier. Hélas, les exemples ne sont pas assez nombreux pour affirmer que la majorité des femmes chassait régulièrement. « Généraliser sur la base de rares exemples, c’est forcément dire des bêtises. » (Vincent Lascour, archéologue)
On constate aussi leur contribution aux tâches agricoles (creuser, semer, soulever de lourdes charges…), ce qui affermit aussi la preuve de la sédentarisation : la partie supérieure de leur corps est plus développée que celle des athlètes féminines actuelles (un peu comme des rameuses professionnelles). Auparavant, leurs jambes étaient plus arquées sous l’effet d’une marche constante. Pareillement, on a pu déterminer que les femmes (jeunes – os malléables) étaient actives à moudre les grains grâce à des traces laissées sur leurs genoux et leurs pieds retournés.
Crédit photo : DBarte – Réalisation actuelle pour EMPREINTE MORTELLE, 2021
La société de la préhistoire était-elle égalitaire ?

Pour ébranler les clichés, on a remarqué que l’homme pouvait également participer à l’élaboration des repas comme l’indiquent des dentitions masculines présentant des traces de pré-mâchage.
Et que penser de toutes ces petites statuettes de Vénus dans l’art mobilier ou ces représentations féminines, très symboliques dans l’art pariétal ? Les sexes masculins sont très peu représentés. On serait amené à penser que ces divers signes attestent de sociétés plutôt matriarcales mais peu d’indices sont là pour étayer ces hypothèses …
Dans l’art pariétal justement, les idées actuelles évoluent et des études établies par l’indice de Manning confirment aujourd’hui la participation de la femme aux peintures et gravures pariétales. Alors qu’avant on disait toujours que ces mains étaient celles d’adolescents, désormais la différence avérée au niveau du majeur et de l’index prouve que les femmes ont également œuvré dans les grottes.
Crédit photo : DBarte – Vénus de Laussel
Alors ! Et le travail ou les loisirs ?
Notre ancêtre (homme ou femme) préhistorique, avait-il du temps pour lui ? pour ne rien faire ? s’adonnait-il aux loisirs ? La réponse est nuancée :
— Oui, au Paléolithique car il ne semblait pas en état de survie permanente, obnubilé par l’idée de remplir son garde-manger… Moins, sans doute, au Néolithique qui signerait la fin de la « société d’abondance » selon l’historien Yuval Noah Harari dans son livre paru en 2015 : Sapiens, une brève histoire de l’humanité.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Bibliographie :
Une excellente série de romans que je vous conseille même si toutes ces périodes s’y retrouvent amalgamées est : Les enfants de la Terre par Jean Auel.
La vie des hommes à la Préhistoire (2016) – Brigitte et Gilles Delluc
L’homme préhistorique était aussi une femme (2020) – Marylène Patou-Mathis
Sapiens, une brève histoire de l’humanité (2015) – Yuval Noah Harari
Documentaires avec Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue, sur Djebel Irhoud.