Un entretien avec Bruno Carpentier, écrivain *
Le testament de Sidoine et celui de Gilles existaient désormais, cachés au fond du sarcophage qui abritait Marie-Madeleine à Saint-Maximin. Hélas, si un jour, ce tombeau enfoui était découvert, la prophétie serait alors connue de tous ! Dominique BARTE – L’héritage
Pour découvrir le personnage de Marie de Magdala, il est permis de s’inspirer des sources écrites et des récentes investigations scientifiques.
Bruno Carpentier
D.B. : Bruno Carpentier, vous avez publié un roman policier intitulé La Crypte de Saint-Maximin. Vous y évoquez Marie-Madeleine… Mais que fait-elle en Provence ?

B.C. : Des reliques attribuées à sainte Marie-Madeleine sont conservées dans la crypte de la basilique de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume : son chef (partie supérieure du crâne) (a), auquel fut ajouté le maxillaire inférieur quelques temps après l’invention de 1279 (b), et un morceau de peau détaché du même crâne, le fameux Noli me tangere (c). Une mèche de cheveux de la sainte est conservée dans la sacristie. Au-delà de l’intrigue policière qui implique ces reliques, j’ai souhaité illustrer le développement du christianisme en France à travers la tradition de Marie-Madeleine.
[a] Charles de Salerne est l’inventeur officiel des reliques attribuées à Marie-Madeleine. Il les découvre en 1279, dont la partie supérieure du crâne toujours conservée à Saint-Maximin. Beaucoup de reliques ont été distribuées en Europe.
(b) Quand Charles de Salerne retrouva les restes de Marie-Madeleine, la mâchoire inférieure manquait. Le Pape Boniface VIII l’ayant trouvée dans les trésors du Latran, l’offrit à Charles.
(c) Noli me tangere (Ne me touche pas). Ce morceau de tissu osseux qui adhérait au crâne, au-dessus de l’arcade sourcilière gauche, est conservé dans un petit tube de cristal. Il se serait détaché lors de l’inventaire de 1780 et a été identifié comme l’endroit où le Christ a posé son doigt au matin de la Résurrection, d’où son nom.
D.B. : Quelles sont les sources dont nous disposons, svp ?
B.C. : Les sources écrites précédant l’invention des reliques attribuées à Marie-Madeleine par Charles de Salerne (futur Charles II, comte de Provence) demeurent rares.
- Hormis l’évangile apocryphe de Nicodème, il faut attendre 735 pour lire Bède le Vénérable qui fixe la date de la fête de la compagne de Jésus (1- cf. infra) au 22 juillet ;
- Vers 756, Raban Maur la cite dans ses Allégories sur la Sainte Écriture ;
- Enfin, au XIIIe siècle, Jacques de Voragine fait plus que l’évoquer dans La Légende dorée.
- Récemment, des investigations scientifiques ont montré que les ossements conservés dans la crypte seraient ceux d’une femme âgée de 50 ans ou plus (2). Les techniques modernes de reconstruction faciale conduites par l’équipe du docteur Philippe Charlier laissent à croire qu’il s’agirait d’une femme d’origine orientale. Cela permet d’envisager un début d’explication à la présence d’une Orientale ensevelie en Provence, dans un sarcophage de l’Antiquité tardive, et relance l’idée de la venue des proches de Jésus de Galilée, dans le Sud de la France. Histoire de l’Occident chrétien ou légende provençale ? Mythe ou réalité ?
- La question continue d’agiter les communautés scientifiques et religieuses, comme le démontre la programmation d’études radiographiques des sols de la basilique (prévu en juin 2021) conduites par le diocèse de Fréjus-Toulon, la mairie et l’association Les Amis de la Basilique de Saint-Maximin. Le but est ici « d’approfondir la connaissance de la genèse du site en cartographiant les anomalies présentes dans le sol de la basilique ».

D.B. : Et que dit la légende ?
B.C. : Selon la Tradition provençale, reprise par Jacques de Voragine (3), l’entourage de Lazare et Marie-Madeleine, proches du Messie, fuyant les persécutions d’Hérode Agrippa embarque sur un bateau sans aucun pilote et quitte la Terre promise. Ils traversent la Méditerranée et débarquent aux bouches du Rhône. Se rendaient-ils initialement à Rome pour se plaindre du sort réservé à Jésus par Ponce Pilate, comme le laisserait supposer l’évangile apocryphe de Nicodème ? (4).
Nous voici en l’an 44 (5). Parmi les rescapés du long voyage : Marie-Salomé, Marie-Jacobé, Sarah, Marie-Madeleine, Marthe et Lazare, sœur et frère de Marie de Béthanie, Maximin et Sidoine. Peu après leur arrivée, les disciples de Jésus se séparent. Lazare, Marie-Madeleine et Maximin rejoignent Marseille et élisent domicile dans le péristyle d’un petit temple abandonné, situé devant le portique du grand temple de Diane, l’Artémis des Grecs ; une chapelle chrétienne fut érigée à cet endroit (6), remplacée au IVe siècle par une église romane, la Vieille Major, puis par la cathédrale de style byzantin Sainte-Marie-Majeure, au XIXe siècle, affectueusement appelée La Major par les Marseillais. Lazare restera à Marseille, tandis que Maximin et Marie-Madeleine partent pour Aix.
D.B. En effet… J’avoue que dans « L’Héritage », le « mode roman » m’a permis d’abuser d’une idée ancienne qui situait l’installation des saints à l’emplacement de l’abbaye de Saint Victor…
C’est une hypothèse connue, induite par les auteurs du XVIIIe qui voulaient justifier la création de St-Victor (et l’arrivée de Cassien) sur un édifice religieux préexistant ; ce n’est plus discuté aujourd’hui. Les fouilles qui ont eu lieu sous la Major ont montré, sous les substructions de la chapelle antique, l’existence de reliefs du temple attribué à Diane (matériel à la Vieille Charité). On peut voir le rapport des fouilles aux ADBdR.
D.B. : Vous évoquez dans votre roman d’autres saints, notamment Maximin et Sidoine, dont les reliques sont, elles aussi, conservées dans la crypte de la célèbre basilique varoise. Pouvez-vous nous en dire plus sur eux ?
B.C. : Vous avez raison et leur proximité interpelle à plus d’un titre…

Maximin est un notable de Béthanie que l’apôtre Pierre aurait présenté à Marie-Madeleine. Il devient l’intendant de la famille de Béthanie. Après avoir quitté Marseille, il commence à évangéliser Aix-en-Provence, aidé par Marie-Madeleine. Il fait construire l’oratoire de Saint-Sauveur où il renferme des reliques du Saint-Sépulcre, avec lesquelles il était venu en Provence (7). L’oratoire, détruit par les Sarrasins au VIIIe ou IXe siècle, est rebâti en 1080 (réforme grégorienne). C’est aujourd’hui la nef droite de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence.

Marie-Madeleine décide finalement de se retirer dans une grotte du Massif de la Sainte-Baume. Tandis qu’elle sentait qu’elle allait mourir, elle redescend de la montagne pour rejoindre Maximin. Une légende populaire raconte que ses pas se sont gravés dans le sol, au sud de l’ancien castrum de Rougiers ; le lieu porte aujourd’hui le nom de Pas de Marie-Madeleine (8). Maximin lui donne la communion et l’enterre à Villa-Latta (ancien nom de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume), dans une sépulture qui devint un oratoire, puis une église paléochrétienne relevant de la puissante abbaye Saint-Victor de Marseille (9). « Quand Maximin quitte ce monde, ses compagnons l’ensevelissent auprès d’elle », ce qui achève de convaincre qu’ils avaient tissé des liens étroits (10), comme je l’évoque dans ma fiction. Ajoutons enfin que, toujours d’après cette source, « au IVe siècle, lorsque le culte chrétien fut reconnu dans l’Empire Romain, les fidèles portèrent le corps de saint Maximin dans l’oratoire qu’il y avait en lieu et place de la crypte actuelle ». Cet argument justifie que les reliques aient été retrouvées dans des cuves gallo-romaines.

Sidoine poursuit sa route vers le nord jusqu’au village de Saint-Restitut, où il se voit attribuer de nombreux miracles, dont celui de rendre la vue aux aveugles (Restitutus est ei visus). Le sarcophage de Sidoine, l’aveugle à qui Jésus a rendu la vue (évangile selon saint Jean, chapitre IX), se trouve à l’ouest de la crypte. Ses reliques furent retrouvées par hasard, par le père Florian Racine, recteur, en 2014, « dans le cadre d’un rangement minutieux de la sacristie », dans « une boîte en zinc scellée ». Après l’avoir ouverte, il y découvrit des reliques de plusieurs saints qui y avaient été placées en 1905 par les prêtres de la basilique. Sidoine est considéré comme le deuxième archevêque d’Aix, successeur de Maximin. Cela dit, vous le connaissez mieux que moi, chère Dominique !
D.B. : Il existe des témoignages qui voudraient attester de la véracité de cette légende, n’est-ce pas ? Et des témoins oculaires qui semblent dignes de foi ?
Au cours des recherches préparatoires à mon roman, j’ai acquis la conviction que la nécessité d’une « véracité » et de « témoignages dignes de foi » avaient été le leitmotiv de deux personnages : le roi Louis IX pour des raisons religieuses et Charles de Salerne pour des raisons politiques. (B. Carpentier)
Louis IX joue lui aussi un rôle important dans « l’affaire de Saint-Maximin ». En 1252, tandis qu’il participe à sa première croisade, le roi apprend que sa mère, Blanche de Castille, vient de mourir. Il décide de rentrer. Selon Joinville, son chancelier et biographe, « le roi débarque à proximité de Hyères » . (11) Il accoste « au début du mois de mai 1254 » et part se recueillir dans la grotte de la Sainte-Baume. Il en ressort bouleversé. Il charge les autorités locales de retrouver les reliques de l’apôtre des apôtres (à Saint-Maximin et à Vézelay). Mort en 1270, le roi qui voulait être saint ne verra jamais les « vraies » reliques.
Charles de Salerne réalise une opération politique au détriment de l’abbaye de Saint-Victor dont relevait la première église. Son affaire est bien ficelée. Charles ordonne d’entreprendre des fouilles dans les églises chrétiennes du comté et trouve, en 1279, les reliques de Marie-Madeleine. Apparemment, il participe aux fouilles en personne et avec une telle ardeur « qu’il est inondé de sueur lorsqu’un ouvrier heurte sa pioche dans le marbre du tombeau ». Charles affirmait avoir agi par inspiration divine, ce que confirma le chancelier Philippe de Cabassolle (1305-1372).
En 1281, Bernard Gui, futur inquisiteur, vient authentifier et inventorier les reliques (12). « Ces reliques, je les ai vues moi-même, » écrira-t-il.
En avril 1295, Charles, devenu comte de Provence, présente au Saint-Père les procès-verbaux rédigés par les évêques de Provence qui confirment les conclusions de Bernard Gui. Le pape Boniface VIII certifie que les reliques trouvées à Saint-Maximin sont bien celles de Marie-Madeleine.
D.B. : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre roman policier ?

B. C. : Avec plaisir. Nous sommes à l’été 2012. Une indigente, Janette Mouriès, est retrouvée morte dans la crypte de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. À ce qu’on raconte au village, la vieille dame avait découvert un secret dans la basilique. Sur ordre de la juge d’instruction, le commandant Cosentino du SRPJ de Marseille débarque en zone de gendarmerie avec pour mission d’aider les gendarmes à résoudre l’enquête au plus vite, les fêtes de la Marie-Madeleine (22 juillet) approchant à grands pas. Une victime mystique, des circonstances contradictoires et une collaboration difficile avec l’adjudant Martin lancent Cosentino à la recherche du mobile de ce crime odieux. Qui a tué Janette ? et, surtout, pourquoi ?

* Bruno Carpentier est écrivain et directeur de collection aux éditions D’un autre ailleurs. Auteur d’une monographie d’histoire provençale (Auriol-en-Provence, chez Caractère, t. I, 2006 ; t. II, 2007), il crée en 2012 une collection de romans policiers baptisée Crimes de Pays, qu’il dirige depuis Marseille. Il y publie en 2013 un premier polar, L’écorcheur de Cadolive, qui donne le ton d’une collection « implantée dans le terroir comme un bon vin de pays ». En 2020 paraît le volume 4 de la collection, La Crypte de Saint-Maximin, qui, comme toujours, fait la part belle aux territoires et aux habitants de Provence.
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES.
- L’évangile selon Philippe, retrouvé dans la bibliothèque de Nag Hammadi en 1945, est un évangile écrit à la fin du IVe siècle. Dans ce document, Jésus appellerait Marie-Madeleine « ma femme ». Voyez à ce sujet l’excellent L’évangile de Philippe dévoilé, par Olivier-Pierre Thébault, chez The Book Edition.
- Expertise anthropologique réalisée en 1974 par les docteurs Arnaud, sous la direction de l’abbé Raymond Boyer, à l’Institut d’archéologie méditerranéenne.
- La Légende Dorée est un recueil de la vie de 150 saints ou groupes de saints ; l’archevêque de Gênes envoya des érudits partout en Europe occidentale pour recueillir les légendes locales et en fit une compilation. Il est admis que Jacques de Voragine écrivit La Légende Dorée entre 1261 et 1266.
- L’évangile de Nicodème et Les actes de Pilate sont les noms usuels d’un évangile apocryphe composé en grec au IVe siècle. La Légende Dorée de Jacques de Voragine en est inspirée. Cet ensemble de texte a été très populaire au Moyen-Âge et a contribué à la popularité de la « tradition » de Marie-Madeleine.
- Les Apôtres, par Ernest Renan, chez Michel Lévy, 1866 : « Barnabé trouva l’Église de Jérusalem dans un grand trouble. L’année 44 […] vit se rallumer le feu de la persécution, qui s’était ralenti depuis la mort d’Étienne » [Ndla : le protomartyr Étienne est lapidé entre 31 et 39, selon les sources ; voyez Le Christianisme des origines à Constantin, par Claude Mimouni et Claude Maraval, chez PUF (2006).
- Recueil des Antiquités et des monuments de Marseille, publié par Grosson en 1773. Les sources de cet ouvrage sont discutées.
- La couronne du Christ, un morceau de la sainte Croix, des clous de la Crucifixion, la lance et l’éponge, selon la Légende.
- Voyez https://histoire-patrimoine-hm.skyrock.com/1464400006-Connaissez-vous-le-secret-des-pas-de-Marie-Magdeleine.html
- Cartulaires de l’abbaye de Saint-Victor, conservés aux Archives départementales des BdR.
- Histoire des saints de Provence, sur le site du diocèse de Fréjus-Toulon.
- Histoire de Saint Louis, par Jean, sire de Joinville. Société de Saint-Augustin, chez Desclée, de Brouwer et compagnie, imprimeurs à Lille.
- Flores chronicorum, Vita Nicolai et Notice de Delisle sur les manuscrits de Bernard Gui. BNF.
2 réflexions sur « Les Saints de Provence. Mythe ou réalité? »