Chaque année, le Cerf se refait … Du mythe à l’éternité

« Souviens-toi qu’un mégacéros possède un cou plus massif qu’un cerf pour soutenir une ramure palmée démesurée »

Dominique BARTE
EMPREINTE MORTELLE

Le mégacéros, ce cerf géant des tourbières, a disparu par manque d’un biotope adapté mais aussi parce qu’il était régulièrement chassé par nos ancêtres préhistoriques. Le cerf élaphe[1], lui, a survécu… preuve que l’image d’éternité qui lui est attachée depuis la Préhistoire demeure vraie aujourd’hui.

« Mi-animal, mi-forêt » disait Pierre de Ronsard au XVIe siècle. Image qui avait précédé le poète depuis des millénaires dans de nombreuses cultures, et qui lui reste attachée. Le renouvellement de ses bois lié au cycle saisonnier a contribué à la sacralisation de l’animal. C’est bien lui le « Roi de la Forêt ».


[1] Cerf élaphe : Bien qu’appelé ainsi, il s’agit en réalité d’un pléonasme car « élaphe » signifie déjà « cerf » en grec.

Le cerf est, avec l’ours des Pyrénées, le plus gros mammifère sauvage de France. Il existe un dimorphisme important entre mâles et femelles : au niveau de la taille (moyenne 1m30), au niveau du poids (150-180 kg) et surtout, par rapport aux bois qui n’existent que chez le mâle. Il vit en moyenne une quinzaine d’années.

Le cerf est adulte à l’âge de deux ans. Dès ce moment-là, ses bois, que l’on appelle aussi les refaits, vont tomber chaque année entre février et mai, pour repousser au cours de l’été et atteindre leur pleine taille à l’automne, pour la période du rut (mi-septembre/mi-octobre). Il s’agit d’organes osseux, vascularisés (donc différents en cela des cornes), couverts les premiers mois d’un velours qui disparaîtra en août. Leur taille est proportionnelle à la qualité de l’habitat où évolue l’animal et non pas un signe de son âge. Ces perches, qui peuvent pousser d’un à trois centimètres par jour, jusqu’à une longueur de presque un mètre et peser environ 1kg, sont hérissées d’andouillers qui classifient l’animal : on parle d’un cerf à 12-14 ou 16 cors, voire plus, selon le nombre d’andouillers.

On pense souvent que les cerfs blancs sont atteints d’albinisme, or il s’agit plutôt d’une maladie de peau assez rare connue sous le nom de leucistisme qui entraîne la perte de la couleur naturelle des poils et de la peau mais qui laisse aux yeux leur couleur normale et non rouge comme chez les animaux albinos.

Préhistoire

Le cerf et le mégacéros apparaissent sur les parois des grottes préhistoriques et en art mobilier. Ces cervidés procurent à l’homme de la Préhistoire leur chair pour le nourrir mais aussi leurs viscères, leur peau, leurs os, leurs bois et leurs tendons pour le vêtir, le soigner et fabriquer armes et objets. Le cerf est déjà présent dans la grotte des Trois-Frères, Ariège, associé à une tête d’homme, faisant penser à un sorcier ou à un chamane qui espérait sans doute obtenir un pouvoir surnaturel ou une éternelle renaissance. La légende est née… (Cerfs nageant, Lascaux – (DB) – environ 17000 ans)

Peuples germaniques, celtes, gaulois

Dans ces cultures, le cerf représentait la virilité et la puissance masculine, puis la suprématie. Il apparaît comme un animal qui aurait accès aux rivages des morts et à l’outre-monde. Les rois scandinaves étaient enterrés avec les ramures d’un cerf pour faciliter le passage, tandis que les Celtes vénéraient Cernunnos, le dieu cornu, dieu du renouveau et des cycles naturels. (Cernunnos, Musée de Cluny – Commons)

« Le Roi de la Forêt ! Le cerf des Cerfs ! Le renouvellement annuel de ses andouillers le rend sacré ! Dans de nombreuses religions, le cerf possède un rôle de “passeur d’âmes”… »

Dominique BARTE
L’Héritage

Des dieux païens au Dieu unique, le Cerf guide les hommes vers Dieu

Par la suite, l’Eglise chrétienne reprendra à son compte les rites païens et l’aura mystique du Cerf se perpétue. Bède le Vénérable le comparait au chrétien, Raban Maur à l’homme innocent. Dans l’iconographie médiévale, le cerf blanc est devenu le symbole du Christ ou son envoyé.

Dans la légende du roi Arthur, Perceval et Galaad à la recherche du Graal, rencontrent un cerf blanc majestueux. Ils le suivent jusqu’à un petit ermitage, et là, l’animal se transforme en Fils de l’Homme. L’ermite leur explique qu’il s’agit d’une transformation symbolisant la résurrection du Christ… (cf. L’ombre du Cerf)

Saint Eustache était un général de l’armée de l’empereur Trajan qui se convertit alors qu’il poursuivait un cerf qui en se tournant vers lui arborait une croix et lui dit : « Je suis le Christ venu pour te sauver. » (Retable Paumgartner peint par A. Dürer – Commons)

Le mythe de l’éternel cycle de la vie se christianise encore avec Hubert de Liège, chasseur invétéré, qui lors d’une grande chasse le Vendredi Saint de l’an 683 entendit une voix qui lui reprochait ses vaines passions. Quand il vit surgir devant lui un splendide cervidé de dix cors (comme les dix commandements), une croix lumineuse brillant au centre de sa ramure, Saint Hubert comprit que ce Cerf crucifère était là pour le guider vers Dieu. Ce Cerf est comparé au Christ, qui meurt et ressuscite, symbolisant la survie de l’âme. (Détail du linteau de la Chapelle St Hubert, Amboise)

« Ses bois qui, chaque année, tombent et se renouvellent, symbolisent la renaissance perpétuelle; ils sont synonymes de Résurrection. Le cerf est l’illustration du cycle éternel de la vie. Il est à la fois être vivant et être végétal. C’est pour cela que les papes choisissent souvent une peau de cerf en guise de linceul.
— Les rois de même ! » fit François Ier.


Dominique BARTE
L’ombre du Cerf

Lors des funérailles des papes, ils étaient dévêtus, rendus à leur nudité originelle, seul un linge blanc immaculé ceignait leurs parties intimes puis ils étaient recouverts d’un linceul en peau de cerf. (cf. Le Partage)

Cette dimension psychopompe sera reprise au bénéfice des rois. Nombreux sont ceux qui témoignent de leur rencontre avec des cerfs, de préférence blancs, lorsqu’ils sont en danger, comme Clovis, Charlemagne, Dagobert… Les rois de France (Charles VI, Charles VII, Louis XII) et d’Angleterre (Arthur, Richard II) et les ducs de Bourbon sont connus pour avoir utilisé l’image du cerf dans leurs armoiries ou leur devise. (Cerf-volant, œuvre des Frères Garreau pour l’expo Animalis, Château de Loches 2021)

Le cerf et le roi de France partagent également un pouvoir de guérisseurs. Le roi guérit des écrouelles tandis que le cerf se purge de ses maladies à la sortie de l’hiver. De cette renaissance cyclique, le cerf devint le roi des rois ; cerf et seigneur sont désormais voués l’un à l’autre. C’est la raison pour laquelle la chasse à courre devint chasse royale dès le XIIIe siècle, strictement réservée au roi qui seul avait le droit de chasser le Roi de la Forêt selon un cérémonial très codifié qui s’apparente (encore) aux anciens mythes païens.

De nos jours, le cerf fascine toujours et surtout à l’automne, durant la période du brame. Là, à l’orée de la forêt, comme les anciens chasseurs de la Préhistoire, l’homme attentif écoute son cri d’amour.

Florian Bestel – Parc de Sainte Croix, 2012

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